Marie-Laure de Cazotte: Mon nom est Otto Gross.


Roman. Albin Michel, Paris 2018
 
Résumé
Zusammenfassung

Le livre de Marie-Laure de Cazotte traite de la vie du psychanalyste Otto Gross (1877-1920). En tant que personnage secondaire, tel qu'il sembleraît initialement, apparaît également Gusto Gräser. Druide en méditation qui récite Laotse et surtout en tant que danseur, il forme à la fois le leitmotif du roman et un modèle pour Otto Gross. Le psychiatre est converti en danseur. La réalité biographique ne correspond pas. Gross, l'intellectuel, était plutôt hostile à ce qui relevait du corps humain, avait honte du sien, le négligeait et ne dansait pas. Cazotte donne dans son récit une image émouvante des souffrances du psychanalyste. En même temps, elle l’idéalise. Le révolutionnaire radical est fusionné avec Gusto Gräser, gagnant en modération et en douceur. Le résultat est un hybride monteveritique: Otto-Gusto, le théoricien en danse de la révolution sexuelle.
Das Buch von Marie-Laure de Cazotte behandelt das Leben des Psychoanalytikers Otto Gross (1877-1920). Als Nebenfigur, wie es zunächst scheint, tritt auch Gusto Gräser auf. Als meditierender Druide, der Laotse rezitiert und vor allem als Tänzer bildet er im Hintergrund ein Leitthema des Romans und zugleich ein Leitbild für Otto Gross. Der Psychiater wird zum Tänzer gemacht. Der biographischen Wirklichkeit entspricht das nicht. Der Kopfmensch Gross war eher leibfeindlich, schämte sich seines Körpers, vernachlässigte ihn, er tanzte nicht. Cazotte gibt in ihrer Erzählung ein ergreifendes Bild der Leiden des Psychoanalytikers. Zugleich idealisiert sie ihn. Der radikale Revolutionär wird mit Gusto Gräser amalgamiert, gewinnt Mäßigung und Milde. Es entsteht ein monteveritanischer Zwitter: Otto-Gusto, der tanzende Theoretiker der sexuellen Revolution.


Extraits


Zurich, le Burghölzli, hiver 1902

Otto, je t'écris de Monte Verità, à Ascona. Le premier geste de celui qui va là-bas est de se devêtir, de se débarrassser des oripeaux de la bourgeosie. On y apprend à danser avec la terre, le soleil et la lune ...“ …

Il relit la lettre:

On y apprend à danser avec la terre, le soleil et la une. On y comprend que la colère ne nourrit que la colère. Il faut attraper la foudre qui s'abat, la prendre dans nos propres mains et la regarder pour ce qu'elle est: rien.“

La montagne de la vérité.“ Ça pourrait être le titre d'un conte …

Les foudroyés l'attendent là-bas.

À Monte Verità. (95ff.)


Monte Verità, Ascona, été 1906

Ils sont une vingtaine face à un géant à la barbe et à la chevelure en broussaille, qui, torse nu, la taille ceinte d'un pagne, assis en tailleur au sommet d'une colline à l'étrange crâne chauve, récite:

L'homme d'une vertu supérieure est comme l'eau

L'eau excelle à faire du bien aux êtres et ne lutte pas.

À l'horizon, des étages de montagnes basses et anciennes enserrent le lac Majeur dont la surface étale est, de temps à autre, labourée par un bateau. Les voisins d'Otto, Raymond Duncan, ses cheveux longs retenus par un ruban, et sa soeur Isadora sont vêtus de toges dans le style grec. À sa gauche, l'écrivain Hermann Hesse, crâne rasé, est habillé à l'indienne, le poète Hugo Ball prend des notes. …

L'enseignement s'achève. Le druide se lève et retire son pagne. Lentement, il ècarte les bras, ses mains semblent palper l'air, ses bras ondulent, sa colonne vertébale s'arque et se rétracte, tel un serpent, ses jambes se propulsent vers les troncs et les roches, sa tête bascule vers le ciel et roule.

Tous retiennent leur souffle.

Gusto Gräser danse.

Il en va ainsi tous les jours lorsque le soleil parvient à son mitan: le poète-vagabond salue le passage du grand astre. Son souffle ne se modifie pas, aucune sueur ne perle à son front. Raymond Duncan, sous le regard attentif de sa soeur, le rejoint. Son corps fin, musclé, exceptionellement souple, épouse les reliefs de la vallée et ses gestes nettoient les âmes plus fortement encore que le text de Lao Tseu.

L'un après l'autre, une dizaine d'hommes et de femmes abandonnent leurs vêtements, s'attrapent les mains et rejoignent les maîtres.

À Monte Verità, les sages sont comme les Indiens de Patagonie, ils ne portent rien, ne veulent rien, ne possèdent rien. Ils sont nus. Tout aussi nus que ce qui les entoure: les arbres, la terre, l'herbe, le ciel.

Et ils dansent. (98f.)





Adolf Stocksmayr Tänzer

Pas de propriété.

À Monte Verità, les sages marchent sur ce chemin. Ils ne possèdent que le strict minimum ...

Hermann Hesse, l'homme au crâne rasé à ses côtés, répète chaque jour, comme un mantra: „Notre but est de parvenir à nous-mêmes, de découvrir notre propre corde, de retourner au grand enseignement, celui de la vie qui est offert par les arbres fruitiers, la pluie, le soleil, les abeilles et qu'écrasent les vertus occidentales: la violence, la convoitise, la soif de connaître.“ Gusto, sa compagne et leurs innombrables enfants vivent dans une grotte, dans le dénuement le plus absolu. Le poète-vagabond offre à ses visiteurs des poèmes, des dessins tracés sur des feuilles d'arbre ou de simples brins de l'herbe. Sa caverne est entourée d'animaux. Parfois, une pie se perche sur sa tête ou un écureuil s'endort sur son épaule. Des adolescents qui se disent les Wandervögel – les oiseaux migrateurs – en quête de liberté vivent autour de sa caverne à quelques encablures des campements de fuyards: déserteurs, échappés d'asile ou révolutionnaires. Chacun travaille la terre pour sa subsistance, et si l'un se révolte, insulte son voisin, ou commet un acte violent, le druide le dit: „Pars, ami“ et lui donne un brin d'herbe sur lequel est écrit: Où vas-tu porter tes orages?“ (104)

Les purs, comme Gusto, vivent dans le dénuement absolu. Les autres, ceux de la Casa Anatta et des petits chalets, ont fait des compromis: matelas, draps, ustensils, chauffage. Lotte a choisi le camp des purs. Elle s'est installée dans une masure en ruine. (120)


Gusto mit Eichhörnchen und einem jungen Freund

Sa caverne est entourée d'animaux.“

À la Casa Anatta, une grande demeure en bois construite sur l'autre flanc de la colline par un mécène belge, ami de Gusto, on cherche le futur berceau de L'Homme Nouveau. Les adeptes de la théosophie de Blavatsky croient au paranormal, à la survivance des âmes, quémandent un pouvoir supratemporel, ceux qui se tournent vers la psychanalise s'explorent eux-mêmes, les tenants du bouddhisme tentent d'échapper aux désirs illusoires, les anarchistes réclament la fin des hiérarchies, Tolstoi règne sur tous, et Gusto psalmodie: „La terre et l'amour contiennent tous les savoirs.“ (104f.)

Du port d'Ascona, l'univers de Monte Verità se voit comme un autre pays. Ils ne peuvent pas en distinguer les frontières et les nuances, les riches des pauvres, les célèbres des anonymes, les intellectuels des extasiés. Pour le padre Giovanni, c'est une communauté „adamite“, une secte, qui vit sur la colline de Monescia. Il n'entend rien des querelles, jugements, rejets, alliances. Ou clans. Les purs, comme Gusto, vivent dans le dénuement absolu, les autres, ceux de la Casa Anatta et des petits chalets, ont fait des compromis: matelas, draps, ustensiles, chauffage. Lotte a choisi le camp des purs. Elle s'est installée dans une masure en ruine, dort sur une couche de paille, recueille celui qui frappe à sa porte - „Sois le bienvenu dans l'amour du Christ“ -, vit maigrement de tissages et de fleurs. (120)

C'est monacale et beau comme l'antre de Gusto Gräser qui lui a dit: „Lotte doit trouver sa paix.“ (123)

Die Tat! lance Erich Mühsam. Passons à l'action!

Le groupe des fidèles se referme, écarte les badauds, les têtes se rapprochent, les voix se font chuchotantes. Circulent d'abord les noms de tous ceux qui, pourchassés par la police, doivent être envoyés à Gusto Gräser, à Monte Verità. (156)

Otto [Gross] ferme les yeux, inspire et expire profondément par le nez une dizaine de fois, comme Gusto Gräser le lui a appris à Monte Verità. „Chasse ta frayeur, ami, retire-toi du monde, écoute ton âme. Cherche sa mémoire, son énergie, accueille-la.“ Le feu, la danse de Sergei, leurs sauts par-dessus des flammes. (232)

Berlin, hiver 1913 …

Die Wacht am Rhein!

Il y a cinq ans, Gusto Gräser récitait du Lao Tseu et s'adressait aux Wandervögel, ces enfants en quête de liberté, de nature et de paix. Une grande partie d'entre eux porte actuellement des uniformes et chassent les juifs de ses rangs. Hesse est en Asie, Raymond Duncan, depuis son retour des Indiens d'Amérique, est définitivement grec, et sa soeur, Isadora, sur toutes les scènes d'Europe. (248)

Otto exécute un pas de danse.

Avez-vous jamais vu Raymond Duncan et Gusto Gräser danser nus à Monte Verita?

Ces moments-lave dans le rythme du soleil, de la terre, du vent, incendiant les émotions triviales. ...

Il [Otto Gross] s'assied à même l'herbe, les jambes en tailleur, en posant une main sur le sol.

Bhumishparsamudra. C'est difficile de mémoriser un mot pareil. C'est le poète Gusto Gräser qui me l'appris. Il signifie: prendre la terre à témoin pour chercher la vérité. (307)

gadjama bim beri glassala

glandridi glassala tuffm i zimbrabim

Une paix d'église se pose inexplicablement. Chaque syllabe qui sort de la bouche du comédien [Hugo Ball] semble soudainement faire écho dans l'esprit des présents. Tous écoutent, concentrés, émus, ce non-texte qui sonne comme une prière.

Otto ferme les yeux.

La Patagonie, Monte Verità, Sergei, Gusto, Raymond, toutes ces danses. Ce qu'il entend est de la meme famille. Hugo dialogue avec l'invisible. (328)

*

Remerciements …

Je dois la découverte de l'univers de Monte Verità
qui fut à la source de cet ouvrage,
à Vincent Risterucci.