08 février 2008
LE MONTE Verità 1900-1930 : UNE SOCIETE LIBRE ET NUE
MONTE Verità
LA NUDITE AU CENTRE D’UNE NOUVELLE SOCIETE
Dossier réalisé par le Blogmaster
Ce qui devait être au départ un petit article sur le Monte Verità et la vie naturiste qui y était préconisée, s’est rapidement transformé, avouons-le, en une passionnante recherche. D’un groupe d’illuminés courant nus dans les champs (vision première), nous nous sommes retrouvés à explorer les courants de pensées en vogue dans l’Europe des années 1910-1930, dans le sillage de personnages complexes, tourmentés ou précurseurs et qui allaient marquer durablement leur temps. De la politique à la psychanalyse, de la poésie à la danse, la communauté d’Ascona apparaît au final comme un bouillon de cultures sans précédent et ralliant à sa cause des personnes d’univers différents et antagonistes, dans une volonté totale d’acceptation et de tolérance. Il faut attendre les années 70 et le mouvement pacifiste des hippies pour retrouver cette mentalité !!! Les membres de Monte Verità, oubliés depuis bien longtemps dans les limbes de l’Histoire, étaient (trop) en avance sur leur temps, dans une Europe ultra conservatrice. Voici leur histoire…
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L’histoire de la communauté du Monte Verità (Montagne Vérité) à Ascona, en Suisse, trouve ses origines dans deux points de l’Histoire Européenne : les bouleversements nés de la révolution industrielle et d’urbanisation frénétique, mais aussi face aux rigorismes des monarchies de l’époque (Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie, Russie) ou des régimes parlementaires bourgeois (France, Grande-Bretagne), les unes comme les autres à tendance conservatrice. Le chômage augmente tandis que les machines remplacent progressivement les hommes. Face à cette révolution sociale, des groupes d’hommes ne veulent pas reconnaître la société dans laquelle ils doivent évoluer. Le socialisme prend racine, l’anarchisme s’organise et, parallèlement, le naturisme devient une autre voie dans la recherche d’un monde meilleur.
On l’a déjà vu par le passé (voir nos articles précédents sur le naturisme et l’anarchisme dans la rubrique LE NU : PENSEES ET PERCEPTIONS), le naturisme a été prôné par plusieurs penseurs et théoriciens comme alternative aux hommes et à une vie difficile et dénaturée par le progrès industriel. Le retour à l’état originel connaît un succès certain mais qui ne concerne que quelques groupuscules de personnes, face à une société ultra conservatrice, où la nudité est toujours considérée comme un pêché et une faute grave.
Autre vue d'Ascona, la colline du Monte Verità est à gauche
On l’a vu aussi, les Anarchistes ont essayé d’inclure le naturisme dans leur mode de vie, dans la mesure où le retour à l’état originel, voire sauvage, induit fatalement l’absence d’autorité et le retour à la liberté de l’Homme. Sa nudité rompt l’appartenance sociale du vêtement.
C’est en Allemagne que le mouvement naturiste, contestataire, prend forme. Plusieurs groupes et communautés ont tentées de développer des sociétés basées autour du principe végétarien ou végétalien, où toute forme d’autorité et d’entrave à la liberté physique et de conscience serait bannie. Pourtant, rien n’aura la mesure de ce qui a été développé au Monte Verità. Vouloir appréhender l’histoire de cette communauté, c’est découvrir tous les courants de pensées libres ou libertaires, les courants idéologiques du socialisme, du communisme, de l’anarchisme, mais aussi les théories psychanalystes des années 20 (Freud, Gross, Jung, Reich) et les courants artistiques et révolutionnaires du temps. Mais commençons par le commencement, si l’on peut dire…
En 1892 prend forme le Mouvement de Réforme de la Vie (Lebensreform) et regroupe les adeptes du végétarisme, du naturisme, du spiritisme, des médecines naturelles, de l’hygiénisme ainsi que des artistes. Issu de cette mouvance, le théosophe suisse Alfredo Piota tente d’établir en 1889 un couvent laïc. Le groupe prend le nom de Fraternitas et s’installe au Mont Vérité (Monte Verità), près d’Ascona en Suisse. C’est néanmoins le Hollandais Henri Oedenkove qui, aidée de sa femme Ida Hofmann, va financer le projet d’une colonie au Monte Verità, dédié à la Réforme de la Vie (1900).
Henri Oedenkove et Ida Hofmann (2e et 3e de la gauche)
et Hermann Hesse (centre de profil), photo prise en 1907
Dans le journal l’Illustration du 27 juillet 1907, Jules Chancel, journaliste, relate sa visite au Monte Verità : «Le directeur propriétaire de cette colonie sanatorium est un Hollandais : M. Henri Oedenkove. En dépit de ses longs cheveux bouclés retenus par un ruban et de sa tunique blanche, ce directeur n’a rien de mystique ni de pontifiant. Fils d’un important industriel des Pays Bas, il est âgé de trente-quatre ans. Jusqu’à vingt ans, il vécut de la vie habituelle des citadins, mais dans de mauvaises conditions, car il était malade, aux prises avec les médecins et les remèdes. Résultat : un organisme complètement ruiné. Les médecins envoyèrent le malheureux au sanatorium végétarien de docteur Kühn, à Leipzig. Après un séjour de quelques mois, M. Oedenkove était guéri par la seule observation d’une hygiène naturelle et la suppression de toute médecine ».L'article de Jules Chancel dans l'Illustration (juillet 1907)
Le site naturel est exceptionnel : il domine la région du Lac Majeur. Il a déjà été habité par des végétariens exposant leurs corps nus au soleil et vivant dans des huttes construites de leurs mains. On compte près de deux cents personnes occupant les lieux en 1909. La communauté, ses soirées de discussion, ses concerts et ses performances, deviennent bientôt une curiosité non seulement pour les gens d'Ascona mais également pour des voyageurs de toute l'Europe qui commencent à visiter voire fréquenter ce lieu inhabituel. Véritable tour de Babel et lieu de bohème, plusieurs personnalités du temps s’y arrêtent pour découvrir et expérimenter un style de vie alternatif, sans obligation, sans restriction, faite de nature et de nudité.
« Nous trouvons là des échantillons de toutes les nationalités et de toutes les classes sociales : une modiste belge et une doctoresse parisienne, Mme Sosnowska; un industriel de Hambourg, un aide de camp de l’empereur de Russie, le capitaine Swetchine, un négociant américain; le peintre berlinois Fidus; un ancien acteur de la cour de Bavière; des hommes de lettres et un ouvrier typographe. Les uns vivent là depuis des années, d’autres y viennent faire des séjours, mais tous sont des apôtres de la vérité, qui, pour eux, se résume dans cette formule : Tout par la nature. Rien en dehors de la nature. » (Jules Chancel – L’Illustration)
On y verra l’écrivain Hermann Hesse, le futur philosophe Martin Buber, le politicien Gustav Landauer, Emile Jacques-Dalcroze, l’inventeur de la gymnastique rythmique, Rudolf Laban, chorégraphe et théoricien de la danse, le psychanalyste Otto Gross, pionnier de la révolution sexuelle, le poète Gusto Gräser (surnommé le « poète aux pieds nus ») ou l’écrivain Erich Mühsam, anarchiste notoire qui deviendra un des leaders de la révolution allemande de 1918.La communauté comporte plusieurs personnes de rangs sociaux élevés. Un rapport de police daté de 1905 précise que «le propriétaire des lieux est le fils d'un riche armateur d'Anvers habitué du Grand Hôtel de Locarno.» On y trouve aussi la comtesse Constance Wachtmeister, des proches d’Héléna Petrovna Blavatsky (1831-1891, fondatrice de la Société Théosophique), Harald Szeeman, commissaire d’expositions d’art contemporain, ou Karl Gräser, frère du poète Gusto, ancien officier de l’armée austro-hongroise, désormais réfractaire à l’armée. La communauté est aussi hétéroclite que différente. Jules Chancel les décrit en ces termes : « Ces gens sont évidemment différents de ceux que l’on rencontre dans la vie ordinaire. Il se dégage d’eux quelque chose de cette douceur et de cette foi mystiques que l’on trouve dans les couvents. Et cependant, je le répète, aucune idée de religion ou de secte n’existe dans leur réunion. Ce sont simplement des hygiénistes qui se défendent, même d’être des philosophes. »
Olga Fröbe-Kapeteyn (à Ascona dans les années 30)
Le Monte Verità devient en quelque sorte un laboratoire d’expérimentations. Une partie de l’Europe commence à s’intéresser à ceux qu’on traite d’idiots dans la vallée d’Ascona. En quelques vingt ans, la petite colonie expérimente ses idées et pratiques sans aucune contrainte. Durant ce même laps de temps, plusieurs penseurs, politiques ou écrivains théoriciens se rendent au Monte Verità, sous couvert d’anonymat : Walter Gropius (architecte, designer et urbaniste allemand), Erich Maria Remarque (écrivain allemand, célèbre auteur du livre de guerre A l’ouest rien de nouveau), James Joyce (poète irlandais), Else Lasker-Schüler (poétesse allemande), Marianne von Werefkin (peintre expressioniste russo-suisse, décédée à Ascona en 1938 où elle est enterrée), Olga Fröbe-Kapeteyn (qui s’installe à Ascona à partir de 1920, créatrice de la Fondation Eranos), Ernst Toller (dramaturge communiste allemand), Gustav Stresemann (homme politique allemand, futur chancelier et ministre des Affaires Etrangères d’Allemagne sous la république de Weimar, prix Nobel de la paix en 1926), Hans Arp (peintre et sculpteur franco-allemand), Carl Gustav Jung (psychiatre suisse, psychologue, psychosociologue, penseur, écrivain, créateur de la psychologie analytique, collaborateur de S. Freud), André Gide (écrivain français dont l’œuvre s'articule autour de la recherche permanente de l'honnêteté intellectuelle, la volonté de liberté et d'affranchissement à l'égard des contraintes morales et puritaines et comment être pleinement soi, jusqu'à assumer son homosexualité, sans jamais démériter à l'égard de ses valeurs ?), mais aussi Lénine dit-on, séjournent aux frais d'Ida et Henri, les fondateurs de la petite colonie et Thomas Mann (écrivain allemand, prix Nobel de Littérature en 1929, auteur de La Montagne Magique, en 1924, et dont les personnages sont assez proches de ceux du Monte Verità : Le livre, dont l’intrigue se déroule au tout début du XXe siècle, relate l’expérience singulière de Hans Castorp, jeune ingénieur de Hambourg venu rendre visite à son cousin Joachim Ziemssen, en cure à la station alpine de Davos. Le héros, fasciné par le microcosme des « gens d’en haut » et bercé par leur rythme de vie, finit lui aussi par contracter une pathologie bien singulière… Son séjour lui donne l’occasion de découvrir une galerie de personnages incarnant chacun une facette de l’époque : l’Italien Settembrini, avocat de la Raison et du Progrès ; le mystique jésuite Naphta, contempteur implacable de la société bourgeoise ; l’hédoniste Pepperkorn et son ensorcelante compagne Claudia Chauchat. Ebranlé et transformé par ce faisceau d’influences, Hans Castorp ne redescendra de la Montagne Magique que pour plonger avec violence dans la Première Guerre Mondiale.).
Sur ce terrain hors du monde, acheté 150 000 Frs en 1900, la vie quotidienne s’écoule paisiblement Il n'y a ni eau, ni électricité, ni route. Mais des palmiers et des châtaigniers en abondance. La nouvelle vie démarre sur de nouvelles bases, macrobiotique et naturiste, anthroposophe et égalitaire. Rudesse et confort petit bourgeois coexistent dans la ferveur maternelle. On joue du piano et on plante des salades. Hommes et femmes vivent nus dans un paysage grandiose. Douches gelées et bains de soleil raffermissent peau et chair de citadins oisifs. Et surtout on discute bienfaits et méfaits de l'alimentation végétarienne. Claire Goll écrit de cette époque : "L’atmosphère de Zurich n’incitait pas au travail. Trop d’amis, trop de sollicitations, une vie de café passionnante mais superficielle. Ascone (sic) était un monastère où dans le calme et sous un ciel tranquille, le travail était facile."
« Les pavillons sont confortables, mais sans aucun luxe. Sol en linoleum, grandes baies à coulisse ouvrant sur l’admirable panorama, lits métalliques, eau courante, meubles d’osier. Pour l’hiver, chauffage à la vapeur, mais l’air entrant toujours librement. Une partie de la propriété est close avec des palissades de planches et c’est là, au milieu des bois, que les naturistes passent en général la matinée, tous nus, occupés soit à prendre le bain de soleil et les bains d’eau courante, soit à cultiver le jardin ou à exercer leurs corps à différents sports. Les dames qui ont conservé « ce sentiment ridicule qu’on appelle la pudeur » restent vêtues ou bien s’enferment dans un enclos réservé. A midi et demi, une cloche sonne; on s’habille - très peu – et l’on se rend au pavillon central. Les vêtements se composent, pour les hommes, d’une sorte de tunique très courte en étoffe poreuse, d’un caleçon et de sandales. Les femmes s’enroulent dans des draperies vagues et de formes variées dont les dessins ont été empruntés aux tableaux de Puvis de Chavannes et à ceux de certains peintres japonais. » (Jules Chancel – l’Illustration 1907)
A cette vie frugale et simple, on tente également d’adapter les nouvelles idées de vie en communauté, créant ou modifiant des règles aux volontés propres de la petite société du Monte Verità. Toutes les idées sont testées tant qu’elles s’inscrivent dans la volonté de libérer l’homme des carcans sociaux et dans le rapprochement de l’homme et de la nature : nudisme, naturalisme et toutes les utopies pré-écologiques servent de piliers à cette réforme de la société. Toutes les aspirations artistiques, culturelles, psychologiques et sociologiques vont désormais être orientées autour de ces concepts de liberté par le nu, d’émancipation féminine, de liberté et de tolérance sexuelle.
Vivre nu, en harmonie avec la nature et adorer le soleil
Pourtant, à la volonté commune de créer une nouvelle société s’opposent deux doctrines : l'une se contente d'un retour à la nature bon enfant, matérialisé dans un sanatorium aux vertus régénératrices. L'autre théorise une vision à cheval de la morale et du communisme où l'homme oublie sa peine et revient à son destin originel. Cette dernière doctrine s’évapore avec la disparition de se adeptes. En 1904, une autre scission naît entre les membres de la communauté (notamment le poète anarchiste allemand Eric Mühsam) et Henri Oedenkove lorsque ce dernier décide d’accueillir des visiteurs en séjour à titre onéreux.
D’un point de vue ésotérique, Hermann Hesse, écrivain alcoolique, s’imagine pouvoir créer une religion une Grande Terre Mère, imaginée aux formes généreuses d’Elisabetta, la femme de Gusto Gräser !!! Otto Gross, de son côté, souhaite créer une sorte « d’utopie matriarcale » (Erich Müsham), dans laquelle la femme est centre de tout. Il fait plusieurs séjours à Ascona, entre 1905 et 1911, pour réaliser ces idées. Marianne Weber qualifie les théories de Gross de « communisme sexuel ». Otto Gross entretien à Ascona une sorte de polygamie volontaire avec plusieurs femmes de l’intelligentsia allemande ou du mouvement anarchiste.
Otto Gross (2e à g.) et Carl Gustav Jung (extrême droite) à Ascona en 1914
Ernst Frick, peintre allemand qui effectua plusieurs séjours à Ascona
Sur le Monte Verità, on adore le soleil mais aussi la danse dans les prés. La danse est largement utilisée comme moyen d’expression, véritables transes qui sont exécutées au clair de lune. C’est à l’instigation de Gusto Gräser que l’on doit cette attirance de la danse dans la culture du Monte Verità : « Quoi qu'il en soit, Gustav Gräser […] passe pour être l’instigateur de danses nues – ou presque nues – célébrées au clair de lune, dans de grandes rondes, parfois autour d’un feu, auxquelles auraient participé jusqu’à soixante personnes, transformées, le temps d’une nuit, en « dames et hommes des bois » (Waldfrauen und Waldmänner). C’était des danses religieuses ou extatiques, sans doute avec quelque chose d’érotique, mais sans connotation sexuelle au sens habituel du terme. Les détracteurs ont parlé d’orgies sexuelles, mais en fait, les participants cherchaient quelque chose de plus universel que l’union charnelle, à savoir, être en communion avec la nature et redécouvrir « l’intériorité mystique » de leur propre soi. » (Mystique, avant-garde et marginalité dans le sillage du Monte Verità par Wolfgang Wackernagel - 2005)
Célébration du soleil par la danse
Danser nu(e) pour une expression corporelle libérée
Parmi les danseurs qui officient à Monte Verità, on trouve Rudolph Laban qui, entre 1913 et 1919, développe sur place ses théories sur la danse, le mouvement, l’espace et la nature. Cela marquera le début des théories de Laban qui influeront durablement la danse contemporaine et moderne du XXe siècle. Au Monte Verità, il fait de ses danses l’essence même de toute célébration et de tout rapport à la vie sur place : adoration du soleil, chorégraphies en plein air, danseurs et danseuses nus, déclamations de poèmes et autres vers écrits par les poètes de passage au Monte Verità.
Croquis de Laban (1924) sur ses théories chorégraphiques
Article sur Laban et ses chorégraphies
Chorégraphie de Laban en exécution
Deux femmes ont également marqué le Monte Verità, au côté de Rudolph Laban : on trouve Mary Wigman, son élève et collaboratrice à partir de 1914, qui pense que le corps condense toutes les formes de musique et la restitue sous forme de gestes ; mais aussi Isadora Duncan, danseuse américaine, venue en 1904 à la demande d’Ida Hofmann qui l’avait vu au festival de Bayreuth. Isadora Duncan va affiner ses théories sur place et révolutionnera la danse contemporaine par un retour en force au modèle des figures antiques grecques. Cet « hellénisme » trouvera notamment son expression par la suppression du tutu et des pointes, préférant la liberté du corps et des mouvements, ne dansant au final que nue ou en portant un voile très fin, et par l’exécution de ses danses qu’en plein air et sans musique (ou très peu), laissant au corps trouvé sa propre musicalité. En 1922, Isadora décrit le fond de sa théorie : « Exposer son propre corps est un art (...) Je n’en appelle pas dans ma danse aux bas instincts, ainsi que le font vos chorus girls. Plutôt danser entièrement nue que parader à demi vêtue dans des vêtements provocants comme elles le font aujourd’hui aux États-Unis, et avec elles tant de femmes dans la rue (...) »
Isadora Duncan (en 1915) : danser nue ou presque et toujours en plein air
Isadora Duncan : chorégraphie au bord du lac
La culture est au centre de discussions entre les pensionnaires de Monte Verità : « Ils ne vivent pas cependant pour la matière seule. On cultive les arts dans la colonie. Il y a une exposition de peinture dans le pavillon central, et, dans la salle de musique, on déchiffre les dernières partitions que le courrier a apportées l’après-midi sur son âne. » (Jules Chancel)
Parmi les « réformes » engagées, celle du statut et de l’émancipation de la femme est à l’ordre du jour. Le mariage d’amour et de conscience est reconnu, totalement affranchi de toute obligation, intérêt ou tracasserie administrative. L’homosexualité est également librement acceptée par tous, sans aucun préjugé. On réforme même l’orthographe en bannissant les majuscules et on règle un traitement dentaire au prix d’une chanson !!!
« Tout est simplifié, et cette vie crée, entre tous les colons, une atmosphère d’égalité qui nous rapproche des théories tolstoïennes. D’ailleurs, le prix du séjour pour ceux qui veulent habiter au Monte Verità est très bon marché. L’entreprise n’a rien de commercial et son directeur cherche seulement à pouvoir augmenter le nombre de ses pavillons. Un pensionnaire paye, suivant le pavillon qu’il occupe, de 5 francs à 9 francs par jour, tout compris. 5% de réduction après trois mois, 10% après six mois, et ainsi de suite. On fait des prix de famille. » (Jules Chancel)
La 1e Guerre Mondiale qui débute en août 1914 marque le déclin progressif de la petite communauté. Plusieurs membres ont quitté les lieux, d’autres, dont les sympathisants, ont été emportés par le vent de l’Histoire qui souffle à partir de 1918. Les derniers, notamment les Allemands, devront faire le douloureux choix du nazisme ou non, certains le payant de leur vie. A partir de 1919, la communauté des « danseurs » (Laban, Duncan, Wigman) quittent à leur tour Monte Verità. Ils vont construire leur notoriété dans le monde qu’ils ont voulu rejeter…
En 1920, la réalité rattrape l’utopie. Les fondateurs de Monte Verità sont ruinés et ne peuvent plus entretenir la colonie. Une coopérative d’artistes tente de relancer le projet mais en y incluant désormais la dimension touristique avec l’accueil de voyageurs venus en retraite paisible. On mange gras et on boit bien. Mais cela ne suffit pas. En 1926, la faillite est bien là. C’est un richissime baron allemand, Eduard von der Heydt qui rachète le lieu et le transforme en institut dédié à la gloire de l’Asie ! En 1945, au lendemain de la guerre, von der Heydt, suspecté de collusion nazie, offre le Monte Verità, ses œuvres d’art et les comptes bancaires au canton du Tessin pour en faire une fondation culturelle.
Monte Verità de nos jours (l'hôtel en blanc)